Octobre 2014, salon du livre de Mouans-Sartoux : je suis avec Petit Cobaye, 5 ans tout juste. J’arrive à l’entrée, sous la toile du chapiteau blanc. C’est grand, je ne sais pas où aller.
Un homme m’interpelle (il s’appelle Rudy Martel mais on ne se connaît pas encore) :
« – Vous tombez bien, c’est le dernier! ». Moi, in petto : le dernier quoi? Ah oui, il y a un livre-CD sur la table. C’est un album, Le monstre mangeur de prénoms. Un jeune homme est assis à côté avec un casque pour faire écouter le disque à Petit Cobaye. C’est Julien Billaudeau, l’illustrateur. Il dessine.
Et là, pendant ce temps, je tombe sous le charme de Monsieur Propre qui tient la couverture d’un livre que je feuillette. Et paf! Une bouffée d’enfance me parvient : le souvenir de ma grand-mère dans sa petite ferme auvergnate dans les années 70. Ça donne l’une des premières critiques sur Breadcrumb et le début d’une relation épistolaire soutenue avec les éditions benjamins media.
La porte de la maison s’ouvre doucement : Rudy Martel partage ses coups de cœur et ses coups de gueule sur Facebook, Sophie Martel* exprime sa délicatesse par courrier électronique, le facteur envoie régulièrement des livres tout chauds dans la boîte aux lettres de Breadcrumb.
benjamins media est un éditeur de livres sonores. Son nom s’écrit sans initiale majuscule, pour mieux se mettre à la portée de son public d’enfants, en situation de handicap visuel ou non. Car benjamins media édite des livres-CD taillés sur mesure pour tous les enfants. Chaque titre est également décliné en version braille ou LSF. Depuis 2014, benjamins media explore aussi les livres numériques avec une percée vers le monde des sourds (mp3 en langue des signes).
Ce qui m’a frappée chez l’éditeur : la fantaisie omniprésente, le style très contemporain des illustrations (rétromoderne), le côté cocorico (les talents sont français), l’aventure musicale. Et bien sûr, l’accessibilité et la réflexion autour du handicap, qui aboutit à des albums qui sont de vrais bijoux car chaque sens est sollicité pour pallier les difficultés éventuelles. Chez benjamins media, moins égale plus.
Cette année, benjamins media fête ses 30 ans. Ça fait un moment que l’idée d’interviewer Rudy me trotte dans la tête. Alors aujourd’hui, pourquoi pas?
Véronique : Un constat, benjamins media n’est pas encore très connu, même des bibliothécaires, alors que benjamins media, c’est 30 titres au catalogue et 30 ans cette année.
Quel chemin parcouru depuis la lecture à la radio des Belles Histoires… Vous publiez d’ailleurs de très grands talents francophones, comment les recrutez-vous ?
Rudy : Avec soin, hihihihihi, et en douceur, uhuhuhuhuhuh.
V. : Au milieu de ces talents francophones, un achat de droits étrangers, la petite souris Mousse. Est-ce une ouverture future?
R. : Plus un coup de cœur je dirais. Je me promenais dans les allées de la foire du livre de Francfort quand, soudain, la petite souris Hippu a pointé le bout de son nez. J’ai été tout de suite fasciné par ce livre écrit et illustré en 1969 et pourtant d’une étonnante modernité. J’ai eu l’impression qu’Oili Tanninen, l’auteur, l’avait fait pour benjamins media tant la technique utilisée (papier découpé-collé) et la palette chromatique font penser à nos livres. Ce fut une évidence : il fallait éditer ce bouquin en France et, mais je ne le savais pas encore à ce moment là, être le premier éditeur français à éditer Oili, ce qui ne laisse pas de m’étonner. Comme Hippu, il pue pas, on a décidé de l’appeler Mousse. Et voilà, c’est l’histoire d’une petite souris qui adopte un chien, Frimousse…
V. : Une association, c’est rare dans le paysage éditorial ?
R. : Complètement. Y en a d’autres, peu, mais y en a, mais s’inscrivent-elles dans la chaîne du livre, pas sûr. benjamins media, bien qu’association de loi de 1901, réalise, édite, fait diffuser et fait distribuer ses livres CD et livres adaptés auprès des librairies. C’est pas unique, mais peut-être…
V. : Comment assurez-vous la pérennité des titres ?
R. : Jusqu’à présent, nous avons toujours su porter et valoriser notre fonds. Nous avons, je crois, la réputation de faire vivre notre catalogue dans la durée. Il y a des titres qui cartonnent, d’autres moins, comme chez les copains, mais on essaie de garder une place pour chaque titre dans notre catalogue. Les spectacles liés au livre, les ateliers benjamins media, les salons, etc., permettent de soutenir tous les titres du catalogue.
V. : Quelle est la part des animations et salons du livre par rapport à l’activité éditoriale ?
R. : Nous avons 4 ateliers au catalogue : l’un sur l’écoute (J’écoute dans le noir), un autre sur le son (ramdam), un autre encore sur le dessin en relief (Jeux Tactiles, Tu Tactiles) et un dernier sur le livre numérique (fabrique ton premier livre numérique). Tous font écho à notre activité de production, et tous ont été conçus pour la prolonger. Tous les ateliers tournent bien et sont pas mal demandés par les bibliothèques, médiathèques, salons du livre, instituts français à l’étranger. C’est à peu près, chaque année, 15000 euros de CA. Nous faisions beaucoup de salons de livre jusqu’à présent, un ou deux par mois environ, mais avec la restructuration en cours de benjamins media – la directrice quitte ses
fonctions et ne sera pas remplacée par une création de poste – les habitudes vont changer.
V. : Vous proposez des fichiers pédagogiques sur le site web, pourquoi, comment ?
R. : Pourquoi ? Parce que souvent – en fait, tout le temps – nos histoires sont porteuses de sens. Ce sont des histoires plaisirs, et on s’amuse à les écouter, mais elles amènent aussi les enfants à mieux se connaître et à mieux appréhender leur environnement. Les fichiers sont un bon « outil d’éducation » pour les parents et un bon outil d’apprentissage pour les profs. Les fichiers pédagogiques les aident à exploiter, au mieux, nos livres. Ils sont imaginés par des profs pour des profs.
V. : Quel est le best-seller de la maison, on veut tout savoir ?
R. : Roooo ! Véronique ! « Le best-seller » ? Y en a plusieurs, évidemment. Petit chat découvre le monde (Taille S au catalogue) en premier lieu. Livre CD écrit par Claire Ubac édité en 1998 et réédité depuis. Il a même été recréé avec des illustrations plus modernes et plus fraîches de Julia Wauters.
Le monstre mangeur de prénoms ensuite. C’est une Taille M, pour enfants dès 4-5 ans. Premier livre de l’auteur, premier livre de l’illustrateur (Julien Billaudeau était encore à l’école Estienne quand nous l’avons publié !), cette histoire a été rééditée plusieurs fois et les ventes dépassent désormais les 10000 exemplaires. D’autres titres ont été réédités comme Mon Tipotame ou tous les livres d’Édouard Manceau. Avec Édouard, on titre plus largement et on vend plus vite. C’est une star. Et un type bien.
"Edouard Manceau, c'est une star. Et un type bien."
– V. : Je vois écrit là, 777 exemplaires en braille vendus en 2016, 1032 en 2015 ?
R. : C’est pas mal, hein ? benjamins media est le premier éditeur et transcripteur braille en France. Personne d’autre ne produit autant de braille, ni n’en vend. Notre politique tarifaire (2 euros le supplément braille et gros caractères) et la qualité de nos ouvrages (les livres sont imprimés par de très bons transcripteurs braille sur du très bon papier canadien) expliquent sans doute notre succès.
-V. : Vous avez décroché un joli contrat de coédition avec le Conseil départemental de l’Hérault pour un livre de naissance d’Edouard Manceau. On aimerait bien savoir ce qui se passe en coulisses ?
R. : Le livre de naissance du Conseil départemental de l’Hérault, c’est d’abord un appel d’offres lancé auprès de trois-quatre illustrateurs discernés par des élus et des professionnels du livre. Ed était dans le lot. Comme les auteurs-illustrateurs appelés à proposer un projet au CD devaient avoir le soutien d’un éditeur, nous nous sommes retrouvés dans la boucle. Merci Ed ! Notre ami toulousain a proposé un projet fini à la collectivité et le projet a été retenu ! Imprimé à 15000 exemplaires dans un format à l’italienne, le livre est distribué depuis septembre 2016 à chaque nouveau-né héraultais ! L’exclusivité dure un an et donc, en septembre 2017, le livre sortira avec une mise en sons et en format carré.
V. : En 2016, vous avez trouvé des acquéreurs chinois et coréens. Comment sont-ils venus vous voir ?
R. : Nous avons la chance d’avoir un agent en cession de droits. Elle s’appelle Stéphanie Vernet (The Picture Book Agency). C’est à elle que l’on doit les ventes benjamins media à l’étranger, en Europe, un peu, en Asie, pas mal. Tous les titres publiés dans la collection Taille S (c’était lors de la foire du livre de Bologne l’année dernière) ont été vendus à la Chine, Les Punitions de Michaël Escoffier, Un frère en bocal à la Corée…
V. : Vous assurez des prestations de services-son.
R. : Depuis longtemps maintenant, benjamins media fait, bien, pour d’autres éditeurs, ce qu’il fait, bien, pour lui. Ce peut être juste de la prise de sons-voix, de la prise de sons-voix avec création de virgules sonores, de la prise de sons-voix avec mise en musique… L’un de nos premiers clients a été Talents Hauts, un éditeur parisien faisant des livres féministes et/ou franco-anglais.
"Virgule sonore : son qui peut ponctuer une double page, un chapitre, un livre"
Depuis le mois de mars de cette année, nous avons passé un cap en devenant également prestataire sonore pour Audible, une filiale d’Amazon. Chaque mois, benjamins media remet 50 heures d’enregistrements finis à Audible. Le client nous envoie les fichiers textes (quatre livres par mois environ), à charge pour nous de « caster » les voix, de faire les prises de sons, les montages et de poster les enregistrements sur le serveur. Comme notre réalisateur sonore était déjà au taquet avec les réalisations sonores de benjamins media, on dû recruter deux nouveaux ingénieurs du son. Olivier et Valentin travaillent à plein temps pour notre nouveau client.
V. : Avez-vous des anecdotes à nous rapporter sur la collaboration entre auteur, illustrateur, éditeur, réalisateur sonore, conteur et musicien ?
R. : Je vais vous parler, Clic, d’Édouard Manceau, et de notre premier livre, Clac, avec lui. Clic Clac est né en Lozère, lors d’un salon du livre où il a fait froid, où il a neigé, où on a marché dans la boue avec des Bensimon aux pieds, où c’était pas très folichon.
Nous avions beaucoup de temps à tuer Édouard et moi et comme nous dormions dans le même gîte, pan ! pan !, je lui ai demandé s’il n’avait pas un projet pour moi. Des années que je lui posais cette question, depuis notre première rencontre à Issoudun, et là, bingo !, l’espace et le temps se rejoignaient pour m’aider dans ma quête…
Entre deux tartines à la confiture de fraise, un bol de café lyophilisé à la main, Édouard m’a montré son projet d’imagier sonore qui ne peut se lire qu’en s’écoutant… Magique ! Avec Édouard, rien n’est laissé au hasard, tout est pensé, contenant et contenu. Tu as affaire à un livre génial dès le début et dès le début j’ai adoré Clic Clac.
V. : Quels sont les projets à venir ?
R. : Trois titres sortiront dans les bacs à la rentrée prochaine. Une Taille S d’abord, avec un texte écrit et illustré par Édouard Manceau. Un petit bouquin, livre de naissance du département de l’Hérault de septembre 2016 à septembre 2017, deviendra un livre CD à part entière dans notre catalogue et aura « tout d’une grande taille». Sortie le 21 septembre. En octobre, deux parutions : une Taille M avec une nouvelle histoire d’Émilie Chazerand, l’auteur, chez nous, de Un frère en bocal et de La vérité vraie sur Mireille Marcassin. Cette nouvelle histoire délirante sera illustrée par Félix Rousseau.
Seconde parution en octobre, Pile poil !, un livre hors normes, un ovni, un livre pour nos 30 ans, un livre accordéon en papier gaufré… Ce sera un livre sans texte, mais aux images très bavardes, illustré en relief par Gwen Keraval, un beau livre à petit prix… Trop beau pour être vrai ? RV le jeudi 19 octobre.
V. : Envisagez-vous de vendre les CD seuls (comme Oui’dire par exemple) ?
R. : Surtout pas ! Pascal, de Oui’dire, se demande d’ailleurs s’il ne va pas se mettre lui aussi à éditer des livres avec ses CD. En jeunesse, et en France, on achète un album avant un livre CD. Il y a des amateurs de livres sonores, c’est sûr, et des gens sensibles à la qualité de la mise en forme sonore, mais globalement, c’est de belles images papier qu’on achète.
En savoir plus
*En septembre 2017, Sophie Martel a quitté la direction pour d’autres horizons professionnels. La relève est assurée par Rudy Martel, désormais directeur.
- Le site des éditions benjamins media, tout juste refondu
- Toutes les critiques sur Breadcrumb mais tout particulièrement T’es beau, t’es fort, t’es musclé, Mousse, La vérité vraie de Mireille Marcassin, Tout rond et aussi la bande sonore d’Olaf le géant mélomane.
Bonus langues
Découvrez les extraits sonores en français, anglais, espagnol, allemand du Monstre mangeur de prénoms :
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