Audric Gueidan, couteau suisse de la culture

Audric Gueidan représenté dans sa BD Datamania pianote sur un téléphone portable et des tas de petits carrés représentant des données s'échappent du téléphoneAudric Gueidan est formateur (médiateur) numérique, passionné par la transmission des savoirs autour des technologies de l’information.

Datamania, son deuxième ouvrage, est un retour d’expérience concernant le pillage de nos données numériques personnelles opéré par les GAFAM et les « Renseignements Généraux » du monde entier. C’est donc une alerte mais aussi un guide de conseils pratiques et un récit de science-fiction. Le tout sous forme de bande dessinée.

Audric, c’est un geek aussi, mais un geek tenaillé par l’envie d’écrire une histoire et pas seulement un documentaire. Les fans de manga et jeux vidéo se feront une joie de débusquer les nombreuses allusions cachées à leurs univers favoris. Pas de panique pour les autres, le cœur du sujet parfois ardu leur sera dévoilé avec habileté. Une lecture croisée avec différents publics pourrait même s’envisager en atelier.

Dans ce véritable défi relevé en trio avec l’illustrateur Halfbob (TOPO) et l’éditeur, Dunod, Audric commence par résumer en deux pages son parcours numérique, depuis ses premiers pas sur ordinateur jusqu’à sa pratique enthousiaste des réseaux sociaux et son expérience professionnelle. Peu à peu toutefois, Audric Gueidan prend conscience que nos actions dans le numérique laissent des traces. Que ces traces sont signifiantes et qu’il peut être facile de s’en emparer, notamment pour usurper une identité ou encore espionner des individus ou des entités.

D’autant que l’évolution technique rapide, les anglicismes et les polysémies entraînent un certain flou sur le domaine.

Le mot même de ‘numérique’ est galvaudé. Pour le référentiel Pix de Pôle Emploi, il s’agit d’une agrégation de bureautique, Internet, réseaux sociaux et outils numériques. Si on ajoute jeux vidéo, objets connectés et web3, selon sa génération, on ne sait plus trop où placer le curseur. Enfin, l’illectronisme, également dénommé illettrisme numérique, toucherait 20% de la population.

Le sujet nous concerne tous. Alors partons avec Breadcrumb à la rencontre d’Audric IRL (in real life) pour un partage d’expériences autour de Datamania.

Véronique. Combien de temps avez-vous mis pour écrire le livre ?
Audric. J’ai écrit Datamania en 6 mois environ. Mais pendant 6 ans j’ai changé ma manière de consommer le numérique, ce que j’appelle un road trip. Datamania est un condensé des questions que je me suis posées, des choses que j’ai essayé de faire autour de moi.

V. Comment le choix de l’illustrateur s’est-il imposé ?

A. Je connaissais son travail depuis longtemps, il était dans la liste que j’avais envoyé à mon éditeur. Et il était dispo. Et je trouvais que son style collait avec ce que je voulais raconter. Je voulais des dessins accessibles et pas trop réalistes. Le sujet étant déjà un peu coton, le dessin devait être lisible rapidement. Et ça marche bien avec l univers un peu décalé que j’avais en tête.

V. A partir de quel âge destinez-vous Datamania ? Je pense à la scène du lit où on voit que vous êtes préoccupé par votre sujet, alors que votre compagne semble avoir d’autres idées en tête ?

A. C’est à vous de me dire. Mais je pense que les jeunes voient tellement de choses sur les écrans aujourd’hui que cette vignette reste très anecdotique.

V. Je pense qu’à partir de 13 ans, c’est bien. J’ai d’ailleurs testé sur le Petit Cobaye de Breadcrumb qui est en 4e et ça colle très bien.

V. Le Larousse parle d’illectronisme comme l’état d’une personne qui ne maîtrise pas les compétences nécessaires à l’utilisation et à la création des ressources numériques. Vous préférez le terme d’illettrisme numérique. L’éditeur a d’ailleurs laissé une coquille en omettant un t (sic).

A. Mes collègues détestent le terme d’illectronisme, parce que c’est un mot inventé mais je reconnais que le terme d’illettrisme est violent.

V. Vous évoquez vos premiers pas sur ordinateur à l’âge de six ans et l’arrivée d’Internet en 99 à la maison lorsque vous êtes préadolescent. Vous abordez ensuite votre amour débutant pour Apple en 2007 à la vingtaine, votre premier travail dans l’audiovisuel et votre pratique enthousiaste des réseaux sociaux. Cette double page est formidable car chacun pourra établir un parallèle avec son vécu. Pour ma part, à six ans, je faisais du patin à roulettes (une planche métallique de la taille d’une semelle avec  des liens en cuir attachés par des boucles). J’ai approché mon premier ordinateur à 19 ans (un écran noir avec des lignes de textes vertes absconses, du MS-DOS, une horreur!)

A. Je trouve intéressant de voir comment l’informatique se positionne dans la vie d’un adolescent. Les jeunes (je pense à la génération Z) sont nés avec internet et n’ont pas vécu ce changement important. De la même manière, mes arrières parents ont vu l’arrivée de la télévision (puis de la couleur). Le plus important selon moi dans une technologie, c’est ce qu’on en fait. Un même outil peut à la fois servir à la création, à l’émancipation, au partage, qu’à la surveillance ou au contrôle des masses. J’aime bien l’Histoire et il est important qu’on regarde régulièrement en arrière pour voir le chemin parcouru, et aussi pour se poser la question « est-ce qu’on va au bon endroit ».

V. Le rappel des utilisations dangereuses et l’analogie avec le petit coin rendent très intelligibles des notions plutôt abstraites pour les jeunes (et les moins jeunes). Toutefois, vous n’avez pas peur que le côté geek et SF puisse éloigner certains publics alors que ce sont des questions qui ont un impact sur notre vie à tous ?

A. Je pense que la science-fiction et l’anticipation est le genre qui permet facilement de faire le lien avec le sujet de la BD car ce n’est pas un futur si lointain que ça. Et c’est ça qui peut d’ailleurs le rendre effrayant. Il suffit de regarder des séries comme Black Mirror pour avoir une bonne idée de ce futur anxiogène qui approche à grand pas. Et j’espère justement que mes petites blagues et références geek permettront de détendre l’atmosphère.

V. Avec Halfbob, vous invitez vos lecteurs à débusquer les nombreuses références à l’univers geek comme dans un cherche et trouve et vous fournissez les réponses. Peu familiarisée avec ce contexte, je n’ai pas toujours compris certains indices. Au fil de l’eau : les personnages bleus en forme de main, ce sont des « likes »? Le B sur les canards dans la prison? Le Poulpe contrôleur? Le personnage avec un G doré à la place de la tête, allusion à Google?

A. Oui, ce sont les « hommes pouces » de Facebook en référence aux « likes ». Les canards ont le B de bitcoin (pour coin coin) 😅 il y a des blagues nulles! Le Poulpe contrôleur symbolise le « cookie wall », le bandeau qui est visible sur les sites qu’on consulte. Le G jaune : magicien d’Oz, Google et désincarnation de la menace puisque le personnage n’a pas de tête mais une lettre G à la place.
V. Vous donnez de nombreuses alternatives pour utiliser des outils respectueux de nos données, issues des mouvements open source et logiciels libres, notamment Framasoft. Vous citez par exemple Signal pour remplacer WhatsApp ?
A. J’aime bien Signal en effet, mais il existe d’autres alternatives. Je pense à Telegram aussi. Mais j’ai bien conscience que pour espérer faire migrer ses amis ou sa famille sur de nouveaux outils, il faut que ces derniers soient un minimum « user friendly », que leur interface soit simple, qu’il y ait un bon travail de design et d’ergonomie. Et avant de « remplacer » un outil, on peut simplement commencer à en utiliser un nouveau en complément. Pour faire une analogie, je peux très bien acheter des fruits directement auprès d’un agriculteur tout en continuant de faire mes courses au supermarché. C’est ce que j’essaie de faire dans ma pratique du numérique, j’essaie de choisir les outils dont j’ai besoin, en pesant le pour et le contre sur les questions de vie privée ou données personnelles. Sur certains domaines, je vais être jusqu’au-boutiste, et sur d’autres je préfère être plus laxiste. Il faut dire que lorsqu’on parle de changer des habitudes, la notion de flemme peut être très présente, encore plus lorsque les utilisateurs n’ont pas les compétences nécessaires. Nous sommes habitués au rapide et fonctionnel, on veut tout tout-de-suite.
V. Vous mentionnez au détour d’une page un futur livre pour prolonger le sujet. Pourriez-vous nous en dire deux mots ?
A. En effet, j’ai pour projet de raconter une nouvelle aventure et de parler cette fois de l’empreinte environnementale du numérique. Là encore, il y a beaucoup de choses à dire, de sensibilisation à faire, et de bonnes pratiques à partager. Et ça me permet de raccrocher les wagons car je fais beaucoup de liens avec le libre et la question des données. Je n’en suis qu’au début du projet mais j’ai déjà beaucoup d’idées.
V. Merci Audric pour votre travail très riche et pour le temps consacré à Breadcrumb. Hâte de découvrir votre prochain titre!
A. Merci Véronique pour le temps que vous m’avez accordé. C’est toujours un plaisir d’échanger sur ces sujets que je trouve passionnants.

Atelier EMI

  1. Exploiter les références supplémentaires fournies par Audric
  2. Réaliser un travail de lisibilité : la page dans laquelle Barlow l’ordinateur explique l’origine et l’évolution d’Internet souffre de la typographie employée. C’est un des écueils du travail sur écran. J’en profite pour vous donner mon conseil en qualité de bibliowebmestre : toujours imprimer son travail pour s’assurer de la lisibilité et ceci, dans les deux modes, couleur et noir et blanc.
  3. Utiliser des outils proposés par Lectura plus
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Revue de presse

Une réponse

  1. […] dans ce contexte que j’ai contacté Audric Gueidan, médiateur numérique, qui publie ce mois-ci sa BD documentaire sur fond de science-fiction, […]

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